REPORTAGE | Liaison maritime Dakar-Ziguinchor : un voyage aux rythmes des vagues

450 kilomètres séparent Ziguinchor et Dakar. On y va par toutes les voies sauf par train. On a donc l’embarras du choix pour faire la liaison. Celle maritime est bien plébiscitée surtout avec le bateau Aline Sitoe Diatta. Un voyage à bord du navire, en provenance de Dakar pour Ziguinchor permet de le constater.

Les retardataires se pressent car les portes de l’embarcadère vont fermer d’un moment à l’autre. Les complaintes sont les mêmes, au moment de s’enregistrer. Cette dame au grand boubou orange, avec son foulard, accompagnée de son fils, se désole, « je viens des Parcelles assainies. Depuis 16h je suis dans la circulation, à cause des embouteillages ; et là c’est à 19 heures que j’arrive ». L’autre jeune femme en pull jaune répond, « moi j’ai quitté à 15h et pareil. Je n’ai même pas pu m’acheter à manger ».

Enregistrement numérique puis contrôle d’identité par la Police, la sécurité est de mise mais des murmures surviennent de la file. « (Bëgg lèen aar rek) », lance le policier, « juste pour vous protéger » en français.

Un dernier contrôle s’opère avant de définitivement entrer dans le navire.

La fraîcheur est au rendez-vous ainsi que ces mélodies caribéennes qui font bouger les pieds aux quelques passagers sur place à cette heure. Sous la protection du croissant lunaire bien visible, le drap autour du corps, ils sont bien au chaud au niveau du bar-resto du bateau Aline Sitoe Diatta.

Les vieilles habitudes reprennent place, ou presque. Si les palabres improvisées, les fumeurs et buveurs de café fidélisés à l’endroit sont bien présents, le lieu est moins animé que d’habitude. Car des places vides, il y en a, avant 23h et des clients presque pas.

Le barman s’apprête à fermer. À la question du pourquoi, posée par un client sur place, il s’explique, « c’est mon heure de descente. En plus il n’y a pas de clients à certaines heures ».

Ce vide profite à certains qui peuvent se faire un dortoir.

La mer est moins agitée ce soir. Dans cette petite affluence, trois amis discutent, canette de boissons à la main. Ils parlent de la préservation de nos cultures et valeurs.

Parmi eux, Hubert Mendy, un homme d’une cinquantaine d’années, couvrant son corps d’un pagne manjack, dont il parle fièrement de l’utilité, tout en ajustant de temps en temps sa casquette bleue. Ceux avec qui il discute sont presque somnolents, il en rigole et dit à l’un d’eux « tu peux t’allonger ici » pointant du doigt le banc où il est assis.

Le bateau Aline Sitoe Diatta haut de 5 ponts, est composé de cabines à 2, de cabines à 4 et de cabines à 8, et des chaises.

Souvent les occupants de ces fauteuils préfèrent dormir sur le pont pour bien s’allonger, ce qui permet à leurs voisins de s’approprier leurs sièges. Hubert est sur les lieux pour prendre un coup malgré la fraîcheur.

« Il fait froid mais j’ai l’habitude ». Selon lui, il peut même faire comme son pote, passer la nuit à la belle étoile, pour ne pas déranger son voisin.

La discussion va bon train et tout autour, le calme s’est imposé. Le bateau vogue tranquillement depuis 20h30, la mer est moins agitée, tout est réuni pour un sommeil de rêve.

A l’entrée du bateau, se trouve le pont 3, la grande salle qui abrite l’essentiel des sièges et la réception chargée de guider les voyageurs dans leur cabine ou leur place.

Il est minuit passé, un air de cinéma plane sur les lieux, les lampes sont éteintes, les deux télévisions allumées diffusent une série sénégalaise.

Les rares noctambules s’en délectent au moment où la majorité est entre les bras de Morphée.

Carabane, passage oblige et paysage prodige

Le soleil s’est levé sur le fleuve. Une voix féminine s’entend faiblement dans le bateau, annonçant l’arrivée prochaine à l’île de Carabane, en français, en anglais et en wolof) après s’être enquise du réveil des passagers. Elle invite ceux qui doivent descendre à s’approcher.

Le navire Aline Sitoe Diatta, dans sa liaison maritime Ziguinchor-Dakar-Ziguinchor, fait une escale sur l’île.

Un passage aimé des voyageurs, ils apprécient le paysage et font des prises de vue.

La fraîcheur fluviale envahit le pont 5 mais, nulle raison de rater l’accostage.

« J’aime bien ce lieu, il est beau. Malheureusement avec les autres bateaux (Aguene et Diambogne), on avait perdu ce rituel », affirme Marie Claire Gomis, avec un sourire timide.

Cette dame de teint noir, de corpulence moyenne, la trentaine assumée, est une habituée du trajet maritime. Elle l’utilise souvent pour aller rendre visite à sa grand-mère à Ziguinchor.

Le bateau Aline Sitoe était resté deux ans en cale sèche en raison de la pandémie de Covid 19 et n’a repris ses rotations qu’en mars dernier.

Même s’il a connu un léger incident une semaine après sa reprise (24h de voyage du fait d’un retard lors du départ en provenance de Dakar), Marie Claire affirme, « j’ai confiance au Bon Dieu, car dans tous les cas, la route est compliquée ces derniers temps avec la crise casamançaise ». Elle poursuit en rigolant, « mes proches m’ont même persuadée de ne pas prendre le bateau ».

La chaleur s’installe. Le vent souffle. Quelques épaves de pirogues constituent le décor du fleuve. Carabane s’éloigne petit à petit et Ziguinchor se rapproche davantage. Par groupes ou seul, assis ou debout près des rampes du bateau, les voyageurs, certains déjà avec tous leurs bagages, vivent chacun à sa manière les derniers instants sur l’eau.

Adossé à une des rampes, Moïse, 28 ans, en est à son premier voyage à Ziguinchor.
Ce médecin bénévole camerounais, vêtu d’un T-shirt bleu de nuit où on peut lire « Mercy Ships », est encore dans le bateau à cause d’une déconvenue.
« Nous avons raté l’escale à Carabane, mon ami et moi. On n’a pas entendu l’annonce puisque nous étions dans notre chambre, écouteurs dans les oreilles», explique-t-il, en toute dérision, avec un fou rire. Tout sourire, son ami espagnol, Eduardo répond, « nous allons en profiter pour visiter Ziguinchor et voir de nos propres yeux tout le bien qu’on en dit ».

Le soleil est au zénith au moment où l’on aperçoit les premiers bâtiments de Ziguinchor. Arrivé à bon port, la voix féminine s’entend à nouveau, cette fois-ci pour remercier les passagers et les prier de ne rien laisser dans le navire et surtout de passer un bon séjour dans la ville d’Aline Sitoe Diatta.

Reprotage signé Mamadou Kane