Grand Reportage : Sous le voile de jeunes filles victimes de viols collectif à Touba Keur Gol

Il devrait être derrière les barreaux d’une prison sénégalaise comme tous les autres violeurs.
L’affaire fait grand bruit au Sénégal. Il s’agit d’un cas de viol pas comme les autres. Un de trop. Un aussi crapuleux que tous les autres.

Bizarrement, Serigne Khadim Mbacké enseignant dans une école coranique dans un quartier de Touba était hors de portée des limiers. Les faits se sont déroulés à Touba plus précisément au quartier Keur Gol.

Pourtant ici et sur les réseaux sociaux, tout le monde a eu vent du drame dont l’auteur est un marabout du nom de Sergine Khadim Mbacké.

Situé à sept kilomètres de la ville de Touba, le quartier Keur Gol est très enclavé et difficile d’accès.

Sous l’ombre d’un grand caïcédrat, plusieurs jeunes filles se tiennent regroupées, leurs visages marqués par la douleur et l’incompréhension. Les rayons du soleil filtrent à travers les branches, illuminant leurs traits empreints de tristesse. À côté d’elles, leurs parents, visiblement bouleversés, affichent des expressions de colère et de désespoir.

Les petites filles, les yeux baissés, se blottissent les unes contre les autres, cherchant un réconfort qui semble difficile à trouver. Les murmures des adultes résonnent autour d’eux, mêlant chuchotements et éclats de voix, alors qu’ils discutent de l’horreur qu’elles ont vécue. L’atmosphère est chargée d’émotion, le silence pesant entrecoupé par des soupirs et des pleurs.

Les familles, réunies dans ce moment de peine, forment un tableau poignant. Le caïcédrat, témoin silencieux de leur souffrance, semble offrir une protection fragile face à l’indicible. Les jeunes filles, malgré leur vulnérabilité, portent en elles une résilience, leur regard déterminé témoignant d’une volonté de surmonter cette épreuve, alors que leurs parents se battent pour faire entendre leur voix dans cette tragédie.

Cette affaire de viol a déclenché une vague de colère sans précédent sur la toile et notamment sur Twitter où les internautes ont eu à s’en prendre aux autorités judiciaires qui tardent à réagir.

Le marabout a disparu après avoir été accusé de viol sur au moins 27 jeunes filles à qui il enseignait le Coran. À la suite de plaintes déposées à la gendarmerie contre lui, l’homme reste jusque-là introuvable.

La rédaction de Mediaactu a essayé de vérifier cette affaire qui a créé une onde de choc sur les réseaux sociaux.

Un de nos journalistes a contacté le service gynécologie de l’hôpital Matlabul Fawzayni de Touba où une source médicale a confirmé l’existence de lésions vulvaires sur plusieurs filles après consultation.

Néanmoins, la source médicale a précisé qu’elle n’a pas la prérogative de confirmer ou d’infirmer l’existence de viol sur les jeunes filles, car c’est, selon elle, le travail des autorités judiciaires.

Cela dit, la lenteur notée dans la procédure judiciaire a provoqué la colère noire des parents des victimes qui avancent que les limiers ne manifestent aucune volonté pour retrouver le marabout, situation qui les met dans tous leurs états.

“Nous avions porté plainte depuis le début de l’affaire, rappelle le père d’une des victimes.
Mais on n’a pas senti les choses bouger car on ne nous donne aucune information valable. Et ce n’est pas normal, car il s’agit de viol commis sur nos enfants qui sont au nombre de 27. C’est vraiment écœurant et nous sommes très fatigués. Nous avons fait notre devoir en tant que victimes, en tant que citoyens qui est d’aller porter plainte à la justice.

Maintenant c’est à eux d’effectuer leur travail. Malheureusement, ils ne manifestent aucune volonté. À la limite, c’est comme s’ils ne voulaient pas retrouver le marabout”.

La mère d’une autre victime pointe des zones d’ombre autour de la procédure : “Ce qui nous semble étonnant dans cette affaire, c’est que les gendarmes ont reçu l’information que le maître coranique a violé 27 de ses élèves, l’ont localisé, et savent où ils se trouvent. Mais ils ne font aucun effort pour aller le cueillir. Nous voulons savoir pourquoi. Si y a des gens qui veulent le protéger aussi, qu’on nous le dise, mais nous n’accepterons pas cette injustice. De toute façon, nous réclamons la justice dans toute sa rigueur, sinon nous allons régler cette affaire nous-mêmes ».

Ce lundi matin, la rédaction de Mediaactu a contacté le commissariat de Ndamatou pour vérifier l’information selon laquelle Serigne Khadim Mbacké a été appréhendé par la police. Et effectivement notre source l’a confirmée.

Des témoignages inouïs

Une sexagénaire du nom de Sokhna Mai Ndiaye parent d’une des victimes s’est confiée à notre journaliste qui a été sur place :

« Serigne Khadim nous a tous trompé on voyait en lui le guide religieux parfait. On l’idolâtrait tellement qu’il avait deux Dahiras…
Un pour les adultes et un autre pour les enfants.
Il ne buvait pas du café Touba, mais n’empêche les enfants trouvaient le moyen de lui préparer du lait à chaque rassemblement religieux. »

« Ma petite fille fait partie des victimes. Sa mère est handicapée et elle ne peut rien faire face à cette situation. Moi non plus car je suis malade et je suis en chimiothérapie depuis 6 ans.
Ici la précarité touche presque toutes les familles. Les femmes font le linge pour avoir de quoi manger et aider leurs maris. Vous vous rendez compte ?

Ces mamans et grands parents n’ont pas renoncé à se battre pour que justice soit faite. Les autorités ont finalement rendu visite aux familles des victimes pour apporter leurs soutiens moral, financier mais surtout juridique.

La douleur de Bineta Tall est aujourd’hui partagée par plusieurs mères dans cette localité, des victimes qui sont contraintes de vivre dans la honte et qui n’obtiendront jamais justice pour la plupart.

« Qui va venir demander la main de nos filles déjà violées ? S’interroge une maman avec un visage horripilé.

« Les proches de Serigne Khadim sont venus ici pour trouver un compromis. Mais lorsqu’on a refusé, ils nous ont dit que même si nous continuons la procédure, cette affaire sera classée sans suite parce que ce n’est pas la première fois que cela arrive », a raconté un sexagénaire du nom de Baye Bassirou en pleurant.

Un coutumier du fait

« En réalité Serigne Khadim Mbacké a commencé à violer les filles depuis la période du Covid-19, plus précisément lors du couvre feu. Mais l’affaire a éclaté le 21 mars dernier », narre Bineta Tall, maman de l’une des victimes.

« Serigne Khadim Mbacké avait déjà enceinté une femme. C’est lui même qui avait tout camouflé, il avait à l’époque même été désigné pour donner un nom au bébé le jour du baptême, alors qu’il était lui-même le père de l’enfant. Tout a éclaté plus tard, mais la famille de la jeune fille n’a pas pu ester en justice pour obtenir gain de cause. Et nous étant simplement des voisins on ne pouvait pas faire grand-chose. »

Serigne Khadim était marié et sa femme lui rendait visite de temps à autre. Des spéculations disent que la femme était au courant de ce que le marabout faisait.

Au cœur du quartier Keur Gol, voici l’école coranique où Serigne Khadim Mbacké enseignait le Saint Coran.

Les rencontres avec les autorités religieuses

Les parents des victimes ont rencontré les autorités religieuses de Touba, pour obtenir gain de cause. Les parents se sont tournés vers l’État et les organisations féminines pour que cette série de viols présumés ne reste impunie.

« Nous avons rencontré Serigne Bassirou Mbacké, le porte parole de la confrérie mouride. Nous avons discuté de 20 heures à 3 heures du matin », révèle un parent de victime à notre journaliste.

Il ajoute :  » Il nous a fait comprendre que cette affaire fera l’objet d’un traitement adéquat. Il nous a reçus une seconde fois et c’était pour nous mettre en rapport avec le capitaine Wade de la compagnie de gendarmerie. Lorsque nous sommes allés le voir, l’officier nous a dit que le marabout l’avait déjà appelé pour ce cas précis ».

Le présumé bourreau, le maître coranique, Serigne Khadim Mbacké, a été arrêté ce lundi par les limiers. Selon le ministère de la Femme, de la famille et de la protection des enfants, les familles des victimes « ont porté plainte devant les juridictions compétentes et le présumé violeur est activement recherché ». Il rappelle qu’il ne ménagera « aucun effort » pour que «la Justice soit rendue dans toute sa rigueur ». Le ministère de la Femme, de la famille et de la protection des enfants annonce avoir « engagé ses services pour prendre en charge l’accompagnement psycho-social et juridique des enfants ».

Pour certains, c’est une atmosphère de deuil qui y règne. Parce que le quartier est devenu célèbre avec cette histoire qui n’est pas digne d’un foyer religieux à l’instar de Touba.

Son nom est encore plus prononcé sur les réseaux sociaux où des vidéos des parents de ses élèves circulent depuis des semaines.

Depuis, cette école coranique est hermétiquement fermée.

La méfiance est de mise ici et pour faire parler certaines victimes présumées, c’est La Croix et la bannière. Il a fallu l’intervention de la délégation du ministère de la famille de la femme et de la protection de l’enfant, l’assistance du délégué de quartier mais aussi d’un parent pour qu’on puisse faire notre reportage.

La mèche a été éventée par une fille âgée de 13 ans qui avait refusé d’aller un jour faire ses cours, malgré les vociférations de sa maman.

Sa mère nous a raconté que c’était lors de son départ au marché, que sa fille s’en est ouverte à sa grande sœur pour lui dire qu’elle refusait d’aller étudier parce que le maitre coranique entretenait avec elle et toutes les autres filles des rapports sexuels. La mère de la fille dit avoir faire preuve de vigilance pour ne pas faire des accusations gratuites.

Néanmoins, elle n’a pas laissé sa fille aller à l’école ce jour-là. Elle l’a même emmenée dans son lieu de travail pour plus de sécurité.

La fille a rapporté que le marabout leur donnait de l’eau bénite avant d’effectuer sa sale besogne. La fille a fini par prendre son courage à deux mains pour ouvrir la boite de Pandore. C’est ainsi que toutes les autres filles, devant leurs mères, ont avoué avoir été forcées par ce maitre coranique à faire des rapports sexuels.

« Elles sont victimes de viols et d’attouchements par leur maître coranique ».

« Il (Serigne Khadim) avait l’habitude de faire à certaines d’entre nous des fellations, à obliger d’autres de lui sucer le sexe jusqu’à ce que le sperme coule dans nos bouches. Et ensuite, il couchait chaque matin avec l’une d’entre nous, je m’en suis ouverte à ma grande sœur. Elle m’a ensuite amenée chez la sage-femme en consultation. Cette dernière nous a envoyé chez un gynécologue. »

Aussitôt que cette nouvelle s’est répandue comme une trainée de poudre, chaque parent a amené sa fille ou protégée en consultations chez la sage-femme.

Pour nous dissuader de ne pas le dénoncer, il nous disait qu’il le saurait à travers son chapelet.

« Chaque matin, lorsque nous venions pour étudier, il nous demandait de passer dans sa chambre. C’est dans cet endroit qu’il abusait de certaines d’entre nous. Les plus jeunes, il leur caressait le sexe et mettait son doigt.

Les moins jeunes, c’est-à-dire celles qui était âgées de 10 ans, après leur avoir fait sucer son sexe jusqu’à éjaculation, il leur imposait la fellation. Quant aux plus âgées, celles qui ont plus de 12 ans, il couchait avec elles. Après chaque rapport sexuel, il nous menaçait en ces termes : ‘’Si jamais vous tentez de le raconter, je le saurai à travers le chapelet que je porte par devers moi. »

Des « pauvres filles » stigmatisées dans le quartier

« Elles sont stigmatisées dans le quartier depuis ces événements malheureux », confie le chef de quartier Baye Adama Pouye.

Le responsable de cette localité qui poursuit : « lorsqu’elles sortent pour vaquer à leurs occupations les jeunes les critiquent en les appelant « deuxième main ».

Une situation très affligeante que les filles sont en train de vivre dans ce quartier.

Une mère sous couvert de l’anonymat abonde dans le sens du chef de quartier. « Dessitou Serigne bi, ou encore Guelou Serigne. Elles sont tellement stigmatisées dans le quartier que parfois elles refusent de sortir. »

Keur Gol, ce quartier là veut maintenant donner aux filles et aux femmes la place qu’elles méritent.

Les femmes se lèvent et leurs voix parlent pour toutes les victimes et d’abord pour ces 36 filles du quartier de Keur Gol, à jamais muettes.