Autopsie d’une économie sénégalaise à l’agonie
Un budget à la hausse d’année en année ! Des infrastructures qui poussent du sol à chaque clignement d’œil sans oublier la hausse du Smig dans le privé ! Le Sénégal dont on a tant rêvé quand on nous vendait que dans le 21e siècle Dakar sera comme Paris. Retour sur terre avec une violence sociale inouïe malgré l’expansion du pays à travers son économie. Mais comment en est-on arrivé là ?
Pendant que sénégalais et sénégalaises tirent la langue financièrement, nos candidats aux élections présidentielles peinent à mettre du répondant sur la table afin de faire face à la misère qui attend tout un peuple. Certains préfèrent garder la tête sur les étoiles en rêvant de titres prophétiques dont le fameux « Paix et salut sur lui », d’autres pavanent encore dans les télévisions en quête de programme sérieux pour faire valoir leurs histoires, les reliant à la maison blanche, assaisonnées de 20 dollars américains, un autre tiers préfère verser dans les slogans et le néologisme… Les experts en dribbles constitutionnels, et spécialistes en propagande de la vérité vraie parce que tout le monde la soutient. La vérité serait une conséquence du nombre de moutons de Panurge qui la gobe, et non de sa preuve scientifique ou tangible. Que des absurdités rationnelles ! Et comme le disait Jean Cocteau, il faut différencier la vérité de l’opinion du grand nombre.
Un rappel des chiffres qui nous pendent au nez : le déficit budgétaire du Sénégal est à 6,1% du PIB en 2022 (Dpee) tandis que celui fixé par la banque centrale des Etats de l’Afrique de l’ouest est à 3%; le Sénégal est endetté à 67% de son PIB (75 % si on intègre la dette des entreprises publiques et parapubliques)
Pour plus de clarté dans nos propos, nous allons définir certains « concepts ». Le déficit budgétaire représente l’excédent des dépenses d’un Etat par rapport à ses recettes qui est à différencier du déficit public. On parle de ce dernier quand les recettes d’une administration sont inférieures à leurs dépenses. Au troisième trimestre de 2021, ce déficit était de 14% avec une hausse de 0.8% par trimestre selon la direction générale du Trésor français qui prévenait déjà risque le surendettement global du pays de la téranga qu’elle a estimé entre 71 et 75% du PIB en 2023.
Avec ce déficit dépassant le double de la limite communautaire, l’État se retrouve entre le marteau du surendettement global et l’enclume du remboursement des dettes déjà concoctées notamment la deuxième partie de l’euro bond de 2014 et l’euro bond de 2018 qui arrivent à échéance en 2024. Le remboursement sera à hauteur de 1531 milliards selon la direction de la dette publique, soit 127 milliards par mois. Après cette étape, le Sénégal connaitra un pic de remboursement de la dette entre 2025 et 2027 du fait de l’euro bond 2028. Toujours selon la même source, un total de 5652 milliards est prévu à échéance, soit un montant de 157 milliards par mois à rembourser sur cette période, 5,23 milliards par jour. Sans oublier que 77% des créanciers sénégalais sont non-résidents toujours selon la direction de la dette publique dans leur bulletin statistique de la dette publique du premier trimestre de 2023.
A cela s’ajoutent une balance commerciale déficitaire avec très peu de valeur ajoutée du fait de la forte exportation de matières premières, une inflation grimpante, et des taux d’intérêts non maitrisés, le tout risquant de plomber à la longue notre taux de change, en plongeant notre monnaie dans une dépréciation chronique sans compétitivité qualitative de nos produits, s’il en existe, dans les marchés internationaux. Ceci aurait dû permettre aux entreprises nationales de profiter de cette dépréciation en augmentant aux passage les recettes fiscales.
Concernant justement ces recettes, la situation n’est pas la meilleure non plus. En effet le Sénégal perd près de 161 milliards de francs CFA par an à cause de l’évasion fiscale d’après le rapport 2021 du consortium constitué de Tax Justice Network, Public Service International, et Global alliance for Tax Justice. Mais ceci n’est rien comparé aux plus de 500 milliards par an qui échappent au fisc sénégalais en raison de l’informel. Rien qu’en 2021, un rapport de la direction de la prévision des études économiques (Dpee) nous montre que le trésor public aurait perdu 526 milliards de francs CFA en matière de recettes fiscales, avec le secteur informel à hauteur de 97,1% des entreprises (avec un poids des unités de production à hauteur de 99,3% dans le secteur primaire, 98,3% dans le secondaire, et 96,5% dans le tertiaire).
Des pertes énormes chiffrées à plus de 650 milliards de francs CFA par an si on joint le rapport du consortium ci-dessus et celui de la Dpee, soit un peu plus de 16% de notre PIB en 2022. Une portion nettement supérieure aux recettes du budget général du Sénégal en 2000.
À ces statistiques s’ajoutent des concepts qui influent directement ou indirectement sur l’économie : l’inflation citée en amont a augmenté de neuf points, en bouleversant au passage plusieurs agents économiques ; la forte domination des étrangers dans le circuit économique sénégalais malgré leur diversité ; sans oublier l’absence de politique budgétaire en logique avec la phase 1 du plan Sénégal émergent (PSE) qui voulait transformer structurellement l’économie malgré l’échec cuisant sur ce volet.
Jamais dans l’histoire du Sénégal les chiffres n’ont été aussi faramineux alors que les classes populaires sont à l’agonie. Des chiffres qui prouvent que les concepts des institutions de Breton Woods ne répondent pas aux réalités de l’économie sénégalaise. Comment un pays avec un taux de croissance de l’ordre de 4% depuis la pandémie de COVID 19, comporte autant d’inégalités sociales ? N’est-il pas abusé de parler de croissance économique quand la plupart des entreprises en vue dans l’économie sénégalaise sont étrangères ? Peut-on parler de PIB quand une personne possèderait un patrimoine de 400milliards qui peut largement combler plusieurs mendiants à la grande mosquée de Dakar, mais seulement dans le nuage de points d’une série de statistiques ? Ne devrions-nous pas remettre en question la pauvreté telle que conçue via les organismes internationaux dont nous nous basons pour refaire nos économies ?
Alors ne vous faites pas duper quand des marchands de sommeil viennent rabâcher leur populisme. Il faudra bien plus que les professions de foi actuelles pour redresser cette économie. Des programmes bien réfléchis, documentés et argumentés sur les bases économiques actuelles feront plus de bien que les curriculum vitae des candidats, leurs parcours « colossaux » ou encore leur soit disant légitimité populaire alors qu’ils n’ont jamais été à hauteur de 51% du fichier électoral lors des deux dernières élections, et ce même dans une coalition. Encore faudrait-il prendre de moins haut le peuple sénégalais qu’on réduit généralement à un troupeau en quête d’un nouveau berger malgré la diversité des spécialistes qui la composent. Beaucoup trop pour le coup de la démagogie, juste ce qu’il faut pour la fantasmagorie du peuple réveillé et éveillé, mais jamais assez pour les inclure dans la recherche de solutions dans les espaces publics, ils préfèrent les spécialistes du Radisson et du King Fahd Palace. Le paroxysme de la contradiction !
Alternatives à cette économie de marché extravertie
Le Sénégal a bien les capacités de redresser son économie. Cette relance passera suivant deux axes principaux : la fiscalité et la transformation structurelle de l’économie. Le premier consistera à mettre des politiques pour formaliser le secteur informel et augmenter par conséquent la pression fiscale pour combler le déficit budgétaire. Le même rapport de la Dpee stipulait que la formalisation à hauteur de 44% du secteur informel pourrait permettre une hausse de la pression fiscale de l’ordre de 20,4% au lieu de 16,9% en 2021. Ainsi, les recettes liées à l’impôt sur le revenu pourraient passer de 3 à 4,6% du PIB, soit un potentiel de plus de 704 milliards. A cela s’ajoute une grille d’impôts permettant de taxer les titres (actifs financiers, droit de propriété) ainsi que les capitaux fixes au moins sans oublier l’impôt sur la fortune.
Avec un tel système d’imposition, le déficit budgétaire pourrait être comblé sans suivre une logique de « banquier » qui consiste à réduire les dépenses de l’état pour combler le déficit alors que ce dernier a largement la possibilité de faire payer les firmes qui amassent de l’argent. Il pourrait même faire augmenter les salaires pour augmenter le pouvoir d’achat des travailleurs qui est directement versé dans l’économie réelle de production et de consommation, tout en se permettant un système de sécurité sociale avec à l’affût un système de cotisation sociale. On ne gère pas un Etat de la même façon qu’une entreprise.
Le deuxième axe se résumera en la définanciarisation de l’économie pour permettre un développement solidaire en préparant le choc des crises qui arrivent toutes les décennies. Définanciariser l’économie c’est la faire bifurquer vers le soulagement des besoins sociaux et environnementaux : c’est à dire injecter assez dans l’économie réelle pour permettre de la fluctuation. Cette mesure devra s’accompagner de la lutte contre la spéculation sur les marchés intérieurs y compris le foncier, les commerciaux et les financiers qui cancérisent l’économie réelle pour booster la bulle financière afin d’accumuler de l’argent.
De surcroît, il faut lutter contre l’ubérisation de la société supposée faire de chacun d’entre nous un potentiel entrepreneur pour mettre fin au salariat, et jeter par-dessus bord le droit du travail. Ceci pourrait créer un dumping social avec une optimisation fiscale absolue. Ce sont des métiers comme celui d’un livreur indépendant par exemple qui pense ne pas avoir de patron alors que celui-ci se trouve souvent dans sa poche : son téléphone. Ce système détruit l’entraide sociale, expose ceux qui le pratiquent en cas de déconvenue et paupérise l’Etat.
Ce nouveau système, cette proposition est en phase avec le Sénégal qui prépare sa révolution énergétique et pourrait aider à créer de l’activité donc de l’emploi. Il est viable et le restera s’il est bien entretenu sur le long terme. Hélas on ne peut pas savoir si c’est la seule voie de sortie par le haut car ceux qui devraient en proposer nous réduisent à comment faire pour créer du manger pour tous, de l’eau pour tous et de l’électricité pour tous alors que ces mesures sont des impératifs qui devraient être des sous-entendus car le politique qui est incapable d’assurer l’assouvissement des besoins vitaux et secondaires des gouvernés ne mérite peut être pas qu’on s’attarde sur ses propositions.
Par Babacar NDOUR
