Emergence d’une Diplomatie Economique Sénégalaise sous Macky Sall : le verre à moitié plein, à moitié vide

La diplomatie, outil fondamental de la politique étrangère, est devenue par nécessité, un instrument de satisfaction des intérêts économiques nationaux des Etats.

Depuis le début des années 70, Susan Strange, Robert Gilpin, Joseph Nye ou encore Robert Keohane, ont souligné la nécessité de prendre davantage en compte les questions économiques (perçus jadis comme élément des low politics, en opposition au high politicspriorisant les questions de sécurité) dans les relations internationales. La mondialisation et le fait que les intérêts économiques sont devenus transfrontaliers ont contraint les Etats à revoir leur politique étrangère, et par ricochet, à lancer une « économisation de la diplomatie ». Aujourd’hui, cette mondialisation économique a influencé considérablement la politique étrangère des Etats et a promu une diplomatie économique proactive dans un monde de compétitioninterétatique. L’émergence d’un Etat, celui du Sénégal en l’occurrence, dépend désormais de la capacité de mobilisation de capitaux, de la capacité à renforcer l’attractivité économique, à promouvoir ses exportations et ses entreprises, mais aussi, d’avoir la crédibilité pour attirer et influencer les acteurs économiques mondiaux. De ce fait, la diplomatie économique qui a fait de ces enjeux ses défis et missions, a pris un tournant plus marquant sous le règne du Président Macky Sall. Cet article fait un diagnostic de la diplomatie économique sénégalaise sous sa présidence.

Le Plan Sénégal Emergent lancé en 2014 et qui a pour but de promouvoir l’émergence du Sénégal à l’horizon 2035, a participé davantage à rendre économique notre diplomatie. “Au regard des objectifs assignés à la diplomatie sénégalaise, une plus grande attention est désormais réservée à la mise en œuvre d’une diplomatie économique, susceptible d’attirer des investissements étrangers, de revaloriser les axes de coopération nord/sud et sud/sud, de promouvoir l’intégration économique africaine et d’améliorer la visibilité du Sénégal en recherchant une plus grande diversité au niveau des partenaires”, peut-on lire dans le Plan d’Action Prioritaire 2019-2023. La diplomatie économique sénégalaise s’est ainsi illustrée dans trois secteurs majeurs : le renforcement de l’attractivité économique et la mobilisation des capitaux, la diversification de nos partenariats internationaux, et plus timidement, la promotion des exportations.

Le renforcement de l’attractivité économique et la mobilisation des capitaux

Le Sénégal a traditionnellement bénéficié de sa stabilité politique. Perçu, comme un havre de paix et de tranquillité en Afrique de l’Ouest, le pays de la “Téranga” a toujours eu une attractivité économique soutenue d’abord par ses attributs socio-politiques. En se référant à cela, sous la Présidence de Macky Sall, le Sénégal a essayé de positionner Dakar comme un “hub” diplomatique et économique. Plusieurs Forums Internationaux comme le Forum Mondial de l’Eau, le ForumInternational de Dakar sur la Paix et la Sécurité, ou encore le Forum Mondial de l’Economie Sociale et Solidaire ont été accueillis ces dernières années. Le Sénégal a aussi lancé des réformes visant à renforcer la crédibilité économique du pays et à améliorer le climat des affaires. Sur le plan international, l’aura diplomatique du Sénégal a permis d’influencer les grands enjeux internationaux. Dans ce secteur, la diplomatie sénégalaise a souvent visé l’occident, en étroite collaboration avec les institutions de Bretton de Woods comme le Fonds Monétaire International et la Banque Mondiale. Le Sénégal s’est surtout appuyé sur les emprunts obligataires appelés “Eurobonds” pour financer ses grands projets et selon le gouvernement, accélérer la croissance. En 2021, alors que le Sénégal levait encore plus de 775 millions d’euros grâce à cet instrument, Abdoulaye Daouda Diallo, Ministre des Finances et du Budget d’alors, expliquait que “l’attraction pour les titres du Sénégal, dans un contexte de crise sanitaire, dénote une grande confiance du marché financier international dans les politiques publiques menées par le président de la République”. L’attraction des investissements directs étrangers a été l’un des principaux mécanismes sur lesquels le Président Macky Sall a inscrit sa diplomatie économique. Entre 2013 et 2021, les entrées nettes d’IDE sont passés de 1,6% à 8,1% du PIB (Banque Mondiale). Le Forum Invest in Sénégal organisé à Dakar en juin 2023, a permis de voir davantage cette perception sénégalaise de la diplomatie économique. Ce forum a été une plateforme de mise en concert d’investisseurs internationaux et le secteur privé national, et dont le but, selon les organisateurs, est « d’insérer le Sénégal dans l’agenda des investisseurs étrangers et de contribuer à faire de Dakar un hub de service et d’attractivité de l’investissement direct étranger ».

La diversification des partenaires internationaux

La diplomatie économique s’appuie sur le réseau diplomatique d’un pays, et principalement sur les relations diplomatiques entretenues avec les autres Etats. Si la France est restée un partenaire privilégié du Sénégal, la tendance d’une diversification des partenaires internationaux déjà notée sous Abdoulaye Wade s’est renforcée sous Macky Sall. Dans son autobiographie publiée en 2019 et intitulée Le Sénégal au Cœur, le Président sénégalais expliquait que « la vocation de mon pays, depuis l’indépendance, est d’être ami de tous les pays et de n’avoir aucun ennemi ». De ce fait, la décennie de sa gouvernance a permis de voir l’émergence d’autres axes diplomatiques devenus centraux dans l’économie sénégalaise. L’axe Dakar-Ankara a été sans doute l’un des plus marquants. La diplomatie économique turque s’est largement renforcée ces dernières années avec une attention particulière accordée à l’Afrique. Des entreprises turques comme SUMMA dans les infrastructures, Karpowership dans l’énergie, FKS dans l’agroalimentaire, entre autres ont gagné des places importantes dans l’économie sénégalaise et dans le PSE. Un phénomène lié à l’accélération du rapprochement diplomatique entre les deux pays et surtout les deux Présidents, Sall et Erdogan. En douze ans, les échanges commerciaux turco-sénégalais sont passés d’environ 282 millions d’euros en 2010 à 750 millions d’euros en 2022. Mais la Turquie n’a pas été le seul acteur qui s’est invité au Sénégal. L’Inde et la Chine ont aussi largement renforcé leurs relations avec le pays d’Afrique de l’Ouest, alors que le Royaume-Uni s’est manifesté par une diplomatie publique plus proactive ces derniers mois. Tous ces pays se sont illustrés par une diplomatie mutuellement tournée vers l’économique. Les découvertes du pétrole et du gaz depuis 2014 ont aussi renforcé l’importance géoéconomique du pays. La diplomatie économique sénégalaise s’appuie surtout sur sa géostratégie dans cette sous-région ouest-africaine pour devenir un acteur clé, voire une porte d’entrée des puissances émergentes sur le continent. La diversification des partenaires internationaux est devenue plus visible avec le balai diplomatique noté à Dakar depuis peu. Antony Blinken, Olaf Scholz, Andrzej Duda, et Dmytro Kuleba se sont successivement relayés à Dakar depuis 2021 afin de renforcer leurs relations diplomatiques et surtout économiques avec le Sénégal.

La promotion des exportations

Créé depuis 2005, l’Agence Sénégalaise de Promotion des Exportations (ASEPEX) a essayé ces dernières années de devenir un pilier important de la diplomatie économiquesénégalaise. Celle-ci en effet, devrait être même le premier volet de la diplomatie économique d’un Etat. Les Ambassades sénégalaises et les Bureaux Economiques ouverts un peu partout dans le monde doivent être des mécanismes de détection d’opportunités économiques à l’extérieur pour les nationaux, avec un rôle de reporting et de monitoring qui revient de facto aux diplomates du XXIe siècle. Le PSE ambitionne d’ailleurs de multiplier par 2,5 les exportations à l’horizon 2035 en développant de 10 %, par an, les exportations sénégalaises (non pétrolières et non minières). A l’ASEPEX, s’est ajoutée la Direction des Partenariats et de la Promotion Economique et Culturelle (DPPEC) qui a multiplié les missions diplomatiques ces derniers mois, afin d’être plus utile au secteur privé national (un instrument de Business Diplomacy). Le président de la République a lui-mêmed’ailleurs essayé d’encourager les exportations via sa diplomatie, comme dans l’exemple de l’arachide. “Sur le commerce agricole en particulier, j’encourage les opérateurs économiques turcs et sénégalais intéressés à acheter les arachides du Sénégal. Parce que nos arachides font partie des meilleures au monde. La Chine a confirmé. Monsieur le président, je compte sur vous pour demander à vos opérateurs économiques, s’ils veulent un bon produit, d’acheter notre arachide avant de rentrer au pays,” avait glissé Macky Salllors d’un Forum des Affaires entre la Turquie et le Sénégal à Dakar, face au Président Erdogan.

Mais si ces efforts sont à saluer dans la perspective d’une diplomatie économique émergente, le Sénégal a raté le coche sur certains axes.

Critique de la diplomatie économique sénégalaise

Le Sénégal regorge d’un potentiel économique extrêmement important qui lui permet désormais d’aspirer à de meilleures conditions de vie pour sa population. Les opportunités économiques qu’il offre doivent être optimisées comme ressources diplomatiques en même temps. Le Sénégal jouit aussi d’une diplomatie puissante et respectée mais qui a toujours été dans une posture de « wait and see » ou uniquement dévouée à des missions de médiations au nom de la stabilité et de la promotion de la paix. Même si la diplomatie économique sénégalaise est en pleine émergence, elle doit pouvoir être mieux coordonnée, mieux structurée, plus performante et basée sur une doctrine lisible et bien pensée.

D’abord, la diplomatie économique doit se baser sur le potentiel déjà existant. Sous le règne de Macky Sall, même si la diplomatie de consensus avec les organisations/institutionsinternationales et leaders mondiaux est à saluer, elle aurait pu être mieux pensée par rapport à un élément décisif : l’intérêt national. Dans un monde compétitif et qui respecte encore les traditions réalistes des relations internationales, le multilatéralisme (ou le régionalisme) ne doit faire oublier la nécessité de privilégier l’intérêt économique national. Le Sénégal doit d’abord privilégier ses relations en prenant en compte sa géoéconomie et son premier cercle concentrique(son voisinage direct). Même si le Président Macky Sall a réussi à renforcer ses relations avec ses voisins, en l’occurrence la Mauritanie, la Guinée Bissau et la Gambie, les relations avec le Mali ont plus ou moins fait l’objet de« petites frictions ». Pour rappel, le Mali accueille 21% de nos exportations et partage avec le Sénégal une histoire profonde. Dans le cadre des sanctions de la CEDEAO contre le gouvernement de transition, le Sénégal aurait pu s’abstenir de fermer les frontières avec Bamako, mais plutôt, en référence à sa géoéconomie, être dans une posture plus équilibrée, voire de médiation entre l’organisation sous-régionale et le Mali, tout en gardant ses frontières ouvertes. Tout comme l’Allemagne n’a pas hésité à avoir des postures unilatéralistesconcernant la Russie en opposition à l’Union Européenne, chaque pays doit pouvoir prendre en compte les enjeux économiques qui l’impliquent directement.

Ensuite, la diplomatie économique sénégalaise sous Macky Sall, a plutôt été une diplomatie d’endettement. Même si les investissements directs étrangers ont plus ou moins fait du bien à l’économie sénégalaise, l’Etat s’est endetté à des niveaux sans précédent pour des projets moins rentables qu’on nous les a présentés. Même si la rentabilité d’un bien public n’est pas toujours matériel, les investissements attirés ont souvent mis le Sénégal dans des tensions budgétaires. Le service de la dette est de moins en moins supportable. L’endettement auprès des institutions de Bretton Woods, contrairement à la façon dithyrambique dont nous le présente une certaine presse, en dit long sur la situation économique moins reluisante de notre pays.

Enfin, le Sénégal doit changer de paradigme économique. Nous avons un réseau diplomatique (avec la diaspora) qui nous permet de développer une diplomatie commerciale efficace. Mais pour cela, le Sénégal doit se doter d’un tissu industriel et renforcer les capacités des PMEs, de façon à pouvoir conquérir le marché sous-régional. Notre diplomatie économique doit être redirigée sur l’Afrique de l’Ouest, avec une création d’une bourgeoisie nationale capable d’aller à l’assaut du marché ouest-africain. Le Sénégal doit basculer dans un modèle économique de promotion des exportations afin non seulement de renforcer la création de l’emploi,tendon d’Achille du régime de Macky Sall, mais aussi de surfer surtout sur notre diplomatie pour conquérir le marché de l’Afrique de l’Ouest. Les visites officielles des Chefs d’Etat étrangers comme Emmanuel Macron, Mohammed VI ou Recep Tayyip Erdoğan ont toujours été marquées par la forte délégation de chefs d’entreprises qui les accompagne. Ce qui témoigne de la place importante que l’économie et les entreprises nationales ont dans leur politique étrangère. Le Sénégal doit s’inscrire dans cette diplomatie offensive et mettre davantage son arsenal diplomatique au service des PMEs et des hommes d’Affaires.

Il est à préciser aussi que la diplomatie n’est plus juste la chasse gardée des diplomates de métier. Elle doit être étendue à des personnalités para–diplomatiques, qui peuvent compléter ou être des leviers d’appoint à la diplomatie. En plus des entreprises, les intellectuels et surtout les chercheurs dans le domaine des relations internationales et des disciplines connexes, doivent pouvoir être intégrés dans la conception dela politique étrangère et de la diplomatie afin que celles-ci soient mieux pensées. En outre, les artistes et les sportifs qui peuvent agir en « Brand Ambassadors » peuvent être assez utiles dans le renforcement de la diplomatie culturelle qui facilite les performances de la diplomatie économique.

En somme, la diplomatie économique a plusieurs fonctions qui vont de l’attractivité économique, de la mobilisation des capitaux et des IDEs, aux promotions des exportations, en passant par le rôle dynamique de la diplomatie en termes de reporting et d’influence des acteurs internationaux pour la satisfaction de l’intérêt économique national. Sous le règne de Macky Sall, le Sénégal a pu renforcer son attractivité économique et capter plus d’investissements directs étrangers, surtout dans le contexte de l’exploitation du Pétrole et du Gaz. Cependant, dans le sens inverse concernant la conquête internationale et la promotion des exportations et des entreprises sénégalaises, beaucoup d’efforts restent à faire et le prochain Président devra d’ores et déjà y penser...

Par Alioune Aboutalib LÔ

Doctorant en Relations Internationales

Université des Civilisations d’Istanbul (Istanbul MedeniyetÜniversitesi)