Sénégal, notre pirogue dans les vents de l’Atlantique

La panoplie des embarcations qui ont accosté sur les côtes espagnoles depuis le mois de juin selon Txema Santana, journaliste espagnol, devient de plus en plus alarmante. Via le fameux hashtag intitulé #DrameSansFin lisible sur le relayage des actualités au large des îles canaries par le confrère Ayoba Faye, les informations qui nous parviennent sont malencontreuses, vu les contrastes du Sénégal actuellement. Sous le mutisme ahurissant de nos autorités, de nos politiques, ceux qui prépareraient l’horizon 2024. Pathétique !

Immigrer de façon clandestine est une souffrance inouïe. Beaucoup de gens, on dirait, peinent à le savoir.

C’est une torture de devoir quitter ses semblables, sa communauté, sa famille et ses coutumes pour braver les interdits à l’autre bout du monde. Seuls, dans l’incertitude !

Les voilà qui décident de s’engouffrer dans un cimetière aquatique, défiant mère nature, à la recherche de l’accomplissement. Ces êtres sont déjà des surhommes ! C’est pourquoi cette chronique sera celle des ressentiments, de la honte ainsi que du désespoir quant à notre société maladissime, et qui pourtant refuse de se faire soigner. Par le biais des autorités et des porteurs de voix, le discours de « raison » ne passe plus. Les risques sont connus, mais la faucheuse n’est plus un garde-fou.

Selon Helena Maleno Garzon, journaliste espagnole, Plus de 14 000 migrants, se muant en Ulysse pour affronter l’odyssée de l’atlantique, ont désormais échoué au large des côtes espagnoles. Parmi eux, des enfants et des femmes ! Mais on retiendra surtout 14 000 sources d’espoir, qui ont divorcé avec leur terroir, espérant des lendemains meilleurs que ceux qui leur sont promis par des voix hautaines et mesquines. De glauques donneurs de leçons qui pensent que ces jeunes partent seulement pour se remplir les poches. Oh les ignorants !

De burlesques Ponocrates dont la vision se limite au bout de leurs nez, encore faudrait-il qu’ils soient dans leurs réflexions illusoires.

C’est donc avec consternation qu’on les entend remettre en question le choix de ces jeunes qui donneraient 400 000 francs CFA pour se faire embarquer dans l’incertitude de la Méditerranée et de l’Atlantique, au lieu d’investir dans leur propre pays étant donné que plusieurs qui ont réussi à se faire un nom ont démarré avec des modestes sommes. Mais investir dans quoi ? Et pourquoi faire dans un contexte où la méritocratie est une fantasmagorie chimérique ?

Le mépris est colossal ! Les maux de la jeunesse viendraient d’un manque de visions et d’alternatives dans l’auto-entreprenariat caricaturé aujourd’hui en «entreprenariat rapide» comme si les universités étaient dans d’excellentes conditions, les zones rurales bénéficiaient d’une suite d’infrastructures. Comme si tout résident dans ce pays avait l’opportunité de vivre ses rêves sans les turpitudes quotidiennes de leur situation héritée des quartiers populaires…

Par conséquent tout serait au diapason sauf la conscience des jeunes. Et le plus stupéfiant, certaines des plus hautes sphères intellectuelles du pays soutiennent ces perfidies. Ils ont jeté par-dessus bord tous les enseignements dont nous a gratifié un certain Sigmund Freud dans son ouvrage intitulé Malaise dans la culture.

Freud nous mettait déjà en garde contre une absence de développement culturel car la culture est ce qui sépare les humains des autres vivants. Ce développement culturel ne signifie rien d’autre que de se rendre maître des perturbations de la vie en commun causées par la pulsion d’agression et d’auto-anéantissement.

La culture est une digue qui doit être consolidée et un filtre qui doit être entretenu, voire changé. Ce que peinent à faire nos autorités !

Des autorités qui peinent à réagir malgré ce fléau d’une violence rarissime. Leurs voix, censées être celles des démunis et des classes populaires, sont devenues celles des ramassis d’hypocrites qui se pavanent à la salle des banquets pour dialoguer du futur d’un pays, sans représentativité, sans aborder la question des jeunes (74% de la population sénégalaise a moins de 35 ans et 52% de cet effectif a moins de 15ans selon le dernier recensement de l’agence nationale de la statistique et de la démographie, ANSD).

Leurs voix sont devenues celles des pâturages illusoires de richesses inouïes que renfermeraient nos terres et notre secteur informel, emballant au passage les éléments de langage du magnétophone de la propagande néolibérale.

Et leurs voix sont également celles des renégats et des imposteurs qui charment le palais pour s’attirer les faveurs du « Roi sortant », oubliant tous les soucis actuels des sujets qu’ils prennent certainement pour du bétail.

Du bétail devant lequel la facette pécuniaire du problème ne saurait être utilisée pour simplifier les gargarismes. Jamais amphigouri n’a été aussi mirobolant ! Quand on affronte la mort dans les yeux, l’argent ne saurait expliciter notre psychisme. D’autant plus que dans l’engagement dans ces migrations risquées, les amis et proches de tout genre sont embarqués. Mais le plus aberrant c’est un père de famille qui embarque avec son fils à bord. Un enfant qui n’atteint même pas la maturité se dirigerait en cas de trajet abouti, vers des lendemains dits meilleurs. Mais l’enfant ne sera jamais préparé à affronter les déboires de l’Atlantique. Même les grandes personnes ne le sont pas ! Quand tout autour de nous c’est de l’eau, et que l’horizon qui embrasse la mer est la seule illusion solide sous nos yeux, l’état de nature se rapproche de plus en plus et les horreurs semblent être à la norme. Même Récupérer le paquetage des morts sans états d’âmes semble normal. C’est ainsi la description d’un champ de bataille ! Seuls des militaires décrivaient ce genre d’horreurs dans un passé encore récent dans l’histoire de l’humanité avec les incipits de la guerre.

C’est ainsi un ressentiment colossal qui nous anime, jusqu’à nous plonger dans les abysses de notre humanité. Et le professeur Amady Aly Dieng, ancien fonctionnaire de la BCEAO et professeur à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, pour ne citer que cela, nous prévenait déjà le 06 Avril 2012, sur le plateau d’une télévision de la place en nous disant que : »Les jeunes n’ont pas de perspectives. C’est pourquoi vous les voyez dans la religion, dans la drogue, dans les activités qui paraissent futiles. Ils vivent déjà un état métaphysique, ils sont dans l’au-delà au lieu d’être là […] Ils ne trouvent pas du travail, c’est pourquoi c’est eux qui peuplent les mosquées. Quand j’étais jeune, je voyais des barbus à la mosquée, mais aujourd’hui de sont des imberbes que vous rencontrez là-bas… »

Ceci étant dit, il faut qu’on aille au-delà des discours moralisateurs. Les leçons de morale ne sont bonnes que pour des personnes qui sont dans l’état normal de savoir être. Pas pour des personnes qui voient les enfants de la plupart des donneurs de leçon pavaner à l’étranger, ou sillonner les rues du pays avec des privilèges présidentiels, pour ne pas dire royaux, au moment où obtenir le plus petit extrait de naissance, c’est la croix et la bannière pour le bas peuple. Cette jeunesse a besoin de plus que de simples mots !

Nous avons besoin d’actes ! D’initiatives au-delà des simples lueurs d’espoir qui nous sont bassinées à longueur de journée. Des alternatives sérieuses pour former cette jeunesse et les pousser à plus élevé que « conducteur de taxi moto ». À cela s’ajoutent des recherches sérieuses en sciences sociales pour couper ce mal à la Racine et qu’on en finisse une bonne fois. Sans oublier bien sûr, d’instaurer une méritocratie dans les hautes sphères du pays, ainsi que l’éthique et la déontologie qui vont avec l’autorité. Malheureusement, on ne semble pas sortis de l’auberge puisque plusieurs travaux sociologiques, dont celui de Cheikh Oumar Ba, socio-anthropologue, sont passées inaperçues malgré la teneur de leurs sciences, et comme d’habitude on attendrait une mort soudaine pour jeter à un grand homme les fleurs de la reconnaissance, à l’image de beaucoup d’autres sénégalais qui ont investi les questions sociales sans que l’opinion publique n’y prête la moindre attention, encore moins « l’aristocratie » médiatique des publicités et des bonnes mœurs.

Par Babacar Ndour