Sénégal : les mésaventures en série du capitaine Touré, le gendarme de l’affaire Sonko
« Dans l’armée, ils étaient tous affolés, et certains étaient prêts à vendre leur âme au diable pour quelques galons », avance le capitaine Touré qui a accordé un entretien à Jeune Afrique chez lui à Zac Mbao, dans la banlieue dakaroise.
Le gendarme le plus populaire du Sénégal a été radié de l’armée pour s’être exprimé publiquement sur la plainte pour viol visant Ousmane Sonko, l’ex-gendarme a accepté de raconter à Jeune Afrique les événements qui ont conduit à sa disgrâce.
Il est revenu sur sa radiation sur son contrat à l’Institut Africaine
de Management (IAM) et a peu parlé sur l’affaire Adji Sarr.
Le 17 juin 2021, le couperet tombe. Un décret, signé de la main de Macky Sall, exclut définitivement Seydina Oumar Touré de la gendarmerie nationale. Après neuf ans passés dans l’armée, le jeune homme est sanctionné pour « faute contre l’honneur, la probité et les devoirs généraux du militaire ».
« J’étais suivi comme un vulgaire bandit. Qu’on en soit venu à espionner un officier de gendarmerie, c’était le signe que notre République était menacée. »
Seydina Oumar Touré Ex Capitaine de la gendarmerie nationale
À l’époque, le capitaine Touré est membre de la section de recherche de Colobane depuis deux ans et il se plaît à exercer ce métier d’enquêteur qui lui permet d’utiliser ses connaissances de juriste. De ce 2 février 2021 où il a entendu la plaignante, il se contente de dire que c’était un jour « normal, comme tous les autres ». « Tout ce que j’ai vu, c’était deux Sénégalais face à un enquêteur, assure Oumar Touré. Ce n’était pas la première fois que je traitais un dossier impliquant une personnalité publique. J’ai posé tous mes actes d’enquête, et le rapport a été transmis au tribunal. »
C’est lorsque ce PV parvient à l’Assemblée nationale, où les députés s’apprêtent à voter la levée de l’immunité du député Sonko, que le document commence à apparaître dans la presse, explique le capitaine. Certains le soupçonnent alors d’avoir orchestré la fuite. Lui est convaincu de n’être qu’un bouc émissaire. Très vite, il remarque qu’il est pris en filature – par des agents du renseignement, selon lui.
« J’étais suivi comme un vulgaire bandit. Qu’on en soit venu à espionner un officier de gendarmerie, c’était le signe que notre République était menacée. » Le capitaine alerte sa hiérarchie. Le 3 mars, il lui fait parvenir une lettre où il annonce être surveillé, et où il se dit inquiet pour sa propre sécurité et celle de sa famille. Le courrier, que JA a pu consulter, est adressé au commandant de la gendarmerie territoriale, le général Jean-Baptiste Tine. Ce dernier assurera au capitaine Touré ne jamais l’avoir reçu.
60 jours de détention
« Imaginez craindre pour votre vie, alerter votre hiérarchie, et ne recevoir aucune réponse. Vous vous demandez : “Est-ce que je compte ?” J’ai réalisé qu’il fallait que je rende moi-même l’affaire publique avant d’être incapable de m’exprimer. Je devais aller jusqu’au bout. Dans l’armée, ils étaient tous affolés, et certains étaient prêts à vendre leur âme au diable pour quelques galons. » Le gendarme décide alors de parler publiquement des filatures dont il pense faire l’objet : dans une publication sur son compte Facebook, tout d’abord, puis face à la presse.
« Si Macky Sall avait été objectif, il n’aurait pas pris cette décision. Il a privilégié ses propres intérêts et a voulu rejeter la faute sur le général Tine et moi-même. »
Seydina Oumar Touré, Ex Capitaine de la gendarmerie nationale
Entre-temps, ce mouride pratiquant se rend à Touba pour prier. À son retour à la section de recherches, il est accueilli par le général Tine, puis directement mis aux arrêts et conduit à la maison civile de Mbao. Privé de son téléphone, il peut uniquement recevoir la visite de sa famille les dimanches. Il restera 60 jours en détention. À sa sortie, le gendarme est entendu sur les raisons de sa prise de parole par un conseil d’enquête composé de cinq officiers. Le 14 juin 2021, ses pairs décident à l’unanimité de se prononcer contre sa radiation. Mais leur avis ne fera pas le poids.
Trois jours plus tard, un ami lui transmet sur WhatsApp le décret signant sa radiation. La nouvelle lui fait mal autant qu’elle le soulage. « La confiance était rompue des deux côtés, mais je partais la conscience tranquille. » Il insiste toutefois : « Si Macky Sall avait été objectif, il n’aurait pas pris cette décision. Il a privilégié ses propres intérêts et a voulu rejeter la faute sur le général Tine et moi-même. »
Car le même jour, le commandant de la gendarmerie perd lui aussi son poste. Le Sénégal sort alors d’une période de violences inédites, au cours desquelles au moins quatorze personnes ont trouvé la mort. Le général sera par la suite nommé ambassadeur en Russie. « Si j’avais pu parler [au président], je lui aurais demandé d’arrêter ça, pour l’intérêt de la nation. Si rendre justice à une personne doit coûter des vies, cela en vaut-il la peine ? » avance le capitaine Touré.
Acharnement ?
Sur l’affaire Adji Sarr, il n’en dira pas plus. Ses propos et sa rébellion contre sa hiérarchie suffisent pour lui valoir le soutien de nombreux Sénégalais, dont les partisans d’Ousmane Sonko. Mais le juriste, admirateur d’Abdoulaye Wade et de Paul Kagame, assure n’avoir aucune intention de s’engager en politique. En mai dernier, l’ex-gendarme de 33 ans a reçu plus de 42 millions de F CFA, fruits d’une cagnotte organisée par la « mafia Kacc-Kacci », un groupe de la société civile proche de l’opposition.
« Après ma radiation, je pensais naïvement que les gens allaient me laisser tranquille. Mais ils ont voulu coûte que coûte me détruire, et ne s’en cachent même pas. Ils ont fait de mon cas une affaire personnelle. »
Il venait alors d’être remercié de l’Institut africain de management (IAM) de Dakar, fondé par Moustapha Guirassy, membre de la coalition à laquelle appartient Ousmane Sonko. Le groupe privé avait été contacté par le ministère de l’Enseignement avant de mettre fin au contrat de son collaborateur. Quelques jours plus tard, le capitaine sera reçu au bureau du maire de Dakar, Barthélémy Dias, membre de la même coalition. Et immédiatement embauché en tant que conseiller spécial à la sécurité.
Sa nomination, ainsi que celle de l’activiste désormais député Guy Marius Sagna, a-t-elle déplu aux autorités ? Depuis plusieurs mois, le versement des salaires des membres du cabinet du maire de Dakar est gelé. Au prix de longues négociations, il pourrait toutefois être débloqué prochainement, selon un employé du bureau contacté par Jeune Afrique. Pour Oumar Touré, cela ne fait cependant aucun doute : c’est lui qui est une nouvelle fois visé. « Après ma radiation, je pensais naïvement que les gens allaient me laisser tranquille. Mais ils ont voulu coûte que coûte me détruire, et ne s’en cachent même pas. Ils ont fait de mon cas une affaire personnelle. »
Pour « s’approprier » son propre combat, l’ancien gendarme réfléchit en parallèle à la formation d’une structure de lutte contre les injustices. A-t-il prévu de se rendre au procès d’Ousmane Sonko, si celui-ci devait se tenir un jour ? « Si je suis cité à comparaître, oui, bien sûr, répond-il. Mais dans le cas contraire, je n’irai pas. »
Avec Jeune Afrique
