Chronique – L’heure des consensus électoraux : « defal ak soti si » au menu !

Alors que la campagne pour la présidentielle de 2024 a tiré sa révérence, il semble qu’au Sénégal il y a des sujets sur lesquels tout le monde est d’accord. Des consensus électoraux qui n’en finissent pas d’engager le quotidien de l’homo senegalensis. Des propositions gélatineuses à bords superflus en remplacement de tares sur lesquelles personne ne veut débattre ouvertement.

Commençons par la question des Daaras ! La majorité des candidats à cette élection présidentielle est d’accord pour intégrer l’éducation dite coranique au système éducatif du pays. Ces branleurs de slogans refusent de parler de ces enfants, de ces victimes, qui sillonnent des rues dans le pays pour ramener des miettes dans la gamelle de leur maître. Gamelle qu’auraient dû remplir les parents de ces bambins qui ne sont bons qu’à la cadence de l’enfantement. Aucun des candidats ne touche à ce fléau. Ou presque. La solution proposée est une non-solution car le problème n’étant pas touché : la pension alimentaire. La plupart de ces mendiants-talibés, ils ont été abandonnés; certains prônent qu’ils sont loin d’être du pays mais peu importe. Ces bambins méritent une vie digne et plus décente dans un pays où les droits de l’enfant ont été chantés par le fameux roi du Mbalax, plat national de l’intellect au Sénégal.

À ceux-là s’ajoutent toutes les personnes qu’on peut rencontrer un peu partout dans le pays et qui tendent la main. Ces personnes sont apparemment mieux protégées que les ouvriers abandonnés par les syndicalistes de pacotille qui préfèrent se muer en lèche-culs des ventriloques en carence idéologique, sans oublier la grande nébuleuse que représente la société civile. Ces tendeurs de main ont sûrement connaissance des conséquences de la grève des battus telle que pensée par Aminata Sow Fall dans un Ouvrage du même nom. Les aumônards sont beaucoup trop proches d’un Dieu à qui ils prêtent une piètre pièce de monnaie par la voie de ces démunis, tout en ayant dilapidé une somme colossale la veille ou juste après pour des détails de bon citadin en se gargarisant de leur bonté orientée.

Moderniser les daaras, c’est est un raccourci presque satisfaisant. Mais à quoi celà servirait si toujours dans cet imaginaire, des enfants mendient davantage. La mendicité est devenue un métier au Sénégal. Demain matin, quand la rédaction de Media Actu sera en train de faire un bouclage, le travail de la rédaction, une horde de mendiants convergera vers la cité des eaux, au rond point Sahm ou à patte d’oie pour leur bouclage journalier. Moderniser c’est fort bien, mais il faut décaper les tares déjà engendrées par la situation qu’on veut décanter avant que celles-ci ne ternissent les mesures fortes à entreprendre.

À cette modernisation doublée de numérisation, s’ajoute un volet crucial et fondamental selon nos chers candidats : l’industrialisation. Ah qu’il est suave ce concept ! Aimons le tant qu’il est écrit puisque les Soleils de l’industrialisation risquent de prendre encore du temps. L’industrialisation sans changement de modèle agricole qui répond encore aujourd’hui aux besoins de la colonie française que nous étions jadis. Une agriculture extravertie qui investit plus les cultures commerciales que vivrières. Des cultures commerciales dépassées depuis les années 80 avec l’entrée en matière d’autres produits oléagineux qui dépassent nettement l’arachide, leader chez nous, à l’instar des amandes, du tournesol, des olives et j’en passe. Et par conséquent, on risque de s’industrialiser pour alimenter des marchés fictifs.

Encore soyons optimistes ! Qui peut parler d’industrialisation sans modèle énergétique ? Existe t’il ? Avons-nous des propositions concrètes sur le modèle énergétique ? Que des calendes grecques ! Les propositions les plus poussées sont fantasmagoriques dans la mesure où la consistance du chiffre est absente sans oublier les perspectives sur le prochain quinquennat.

Le changement de modèle agricole pour la bifurcation vers les cultures vivrières et l’abandon des cultures dont on ne maîtrise pas souvent les prix dans les marchés internationaux ne peuvent pas se désolidariser de l’industrialisation tant théorisée. De surcroît, avec l’arachide aux abois depuis la fin des années 80, on finit par se calquer sur des projets ambitieux, mais trop peu rentables.

Et le comble des programmes reste sûrement l’absence d’un cadrage macroéconomique réel qui prend en compte les normes communautaires qui nous régissent ainsi que les indicateurs économiques actuels dont personne ne parle. Rien que le déficit public de l’ordre de 14% mérite mieux qu’une simple numérisation des opérations fiscales qui ne signifie pas forcément une augmentation des recettes. La pression fiscale du Sénégal est en dessous des normes communautaires de l’UEMOA, mais on préfère parler de formalisation du secteur informel sans communiquer une stratégie permettant de comprendre le pourquoi du comment afin de mesurer l’ampleur de la proposition et si elle est réalisable. Encore faudrait-il voir si certaines mesures dans ce sens ne vont pas engendrer plus de problèmes qu’il y en a déjà.
Le sous emploi dont personne ne parle a laissé sa place dans l’opinion publique au chômage au sens strict malgré sa réalité plus que prégnante pour reprendre les termes de Ndongo Samba Sylla. Ce dernier a produit en 2023 une proposition limpide et documentée pour une stratégie du plein emploi en Afrique et notamment au Sénégal en inscrivant une garantie d’emploi à l’aide de politiques publiques. Conclusion : merci de jeter à la poubelle tout travail pertinent permettant des voies de sortie par le haut des problèmes qui nous pendent au nez. Dans un pays où 65% des emplois sont qualifiés de « précaire » par l’organisation internationale du travail. Comme à l’accoutumée, on rate nos débats et on se cristallise sur des idéaux de Ponocrates qui ne nous assurent que l’Éternel retour à des combats déjà menés.

À la veille de l’élection d’un nouveau président, la seule bonne nouvelle reste la ferveur « nationale » retrouvée via l’organisation de ces élections qui se présentent presque comme un miracle. Après douze ans au pouvoir, l’héritage du Président sortant est très nuancé. Entre infrastructures galopantes et misères alarmantes, force est de constater que les urgences de 2012 sont les mêmes que celles de 2024 : gestion sobre et vertueuse, réformes institutionnelles, faible pouvoir d’achat des citoyens, un taux de chômage frôlant la catastrophe, etc. Si ces deux checkpoints de notre histoire sont similaires, il n’en manque pas moins de dire que le peuple suit les mêmes divertissements d’antan. La situation est plus que précaire avec les eurobonds qui arrivent dans le prochain quinquennat. La conscience citoyenne dont il a toujours été question est aux antipodes d’une réalité sociale qui échappe aux politiques. D’ici le prochain checkpoint, serons-nous à l’abri de refaire les mêmes appels de 2012 et de 2024 ?

Par Babacar NDOUR